La veille de l’inauguration, pas moins de soixante-dix personnes s’étaient rendues à la projection du film de Dominique Adt « Présumés coupables » à la Salle des Fêtes de Bélâbre. Le samedi 19 novembre, nous étions environ une centaine à assister à l’inauguration d’un Espace Mis & Thiennot qui, pour ambition, se voulait d’être multi générationnel… La Mémoire (pour ne pas dire, le devoir de mémoire), la transmission… ne pourront qu’opérer sur cette base de loisirs où enfants, grands enfants et seniors se croiseront, échangeront et ne manqueront pas de rappeler que pas très loin de Bélâbre, à une trentaine de kilomètres à peine, soixante-dix ans auparavant, naissait une des plus grandes erreurs judiciaires du siècle dernier.
Discours de Laurent Laroche
Madame la Présidente du comité Mis et thiennot, mesdames messieurs les élus, mesdames messieurs.
Nous sommes ici aujourd’hui réunis en ce lieu pour honorer un combat juste, le combat face à l’injustice qui a touché 14 hommes en 1946 et plus particulièrement Gabriel Thiennot et Raymond Mis injustement condamnés pour un meurtre qu’ils n’ont pas commis.
Je voudrais rappeler un article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :
Article 9.Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
Ainsi encore aujourd’hui, le texte le plus emblématique de la constitution française rappelle que tout citoyen est présumé innocent et que la justice ne doit pas être le fait d’un lynchage ou engendrée par la torture et que l’on ne peut pas faire justice soi-même. En 1946 dans un contexte difficile de sortie de guerre, ces hommes ont payé à la place d’un autre.
La commune de Bélâbre par la voix de son conseil municipal a choisi de marquer dans son patrimoine local une trace indélébile en honorant la mémoire de Mis et Thiennot. Ici maintenant, en ce lieu, où nous avons pour projet avec la Communauté de communes Marche Occitane Val d’Anglin, de réaliser un centre multi générationnel qui accueillera les enfants du centre de loisirs, la bibliothèque et des associations, la mémoire de Raymond et Gabriel sera évoquée par ces plaques aux générations futures.
Enfin pour conclure je souhaite vous saluer, madame avec les membres du comité, pour le combat que vous menez, c’est un long chemin et sachez que par le choix que nous avons fait vous avez tout notre soutien. Ce combat c’est aussi celui de toutes les autres injustices, il faut des exemples pour prouver l’exemplarité, votre combat sera l’exemple et la preuve de la dignité retrouvée de Raymond Mis et Gabriel Thiennot.
Hier soir lors de la projection du film « présumés coupables », Gabriel Thiennot, lors d’une interview, laisse échapper ses pleurs et il dit « excusez-moi » ; ce n’est pas à lui de le dire c’est à la justice et comme la justice est rendue par le peuple c’est à la nation de le faire et de leur dire « excusez-moi » !
Laurent Laroche, maire de Bélâbre
Discours d’Helga Pottier
En Berry, la mémoire de l’affaire Mis et Thiennot est vive. Depuis 70 ans, elle est régulièrement présente dans l’actualité :
D’abord, début 1947, au moment de la disparition du garde-chasse Louis Boistard, la découverte de son corps, la garde-à-vue de huit jeunes gens à Mézières-en-Brenne, leur inculpation pour meurtre, l’essai d’une reconstitution de la scène de crime.
Ensuite, à l’été 1947, en 1948 et 1950, au moment des trois procès en Cour d’assises à Châteauroux, Poitiers et Bordeaux. En 1954, lorsque le Président Coty prononce la grâce pour Raymond Mis et Gabriel Thiennot, ce qui entraîne leur libération après 7 ans, 6 mois et 14 jours d’emprisonnement.
Puis en 1980 à la sortie du livre de Léandre Boizeau « Ils sont innocents », suivie de dizaines de réunions d’information et la constitution du Comité de soutien pour la révision du procès.
Vient ensuite l’actualité médiatique autour des 6 requêtes en révision et leurs refus par les magistrats en 1983, 1988, 1993, 1996, 2007 et 2015, ainsi que, bien sûr, au moment du décès de Gabriel en 2003 et de Raymond en 2009.
Une affaire donc qui accompagne depuis trois générations les gens du Berry. Elle laisse un sentiment de colère et de grande amertume vis-à-vis de la Justice, un sentiment d’impuissance aussi.
Car tout le monde sait que Raymond et Gabriel ainsi que leurs six camarades d’infortune ont avoué un crime qu’ils n’ont pas commis, avoué après huit nuits de torture à la mairie de Mézières-en-Brenne, infligée par des policiers spécialistes en interrogatoires musclés. Tout le monde sait que Raymond, Gabriel, mais aussi André Chichery, Emile Thibault, Gervais Thibault, Stanislas Mis, Bernard Chauvet et Jean Blanchet sont innocents.
L’affaire suscite aussi un sentiment d’indignation et de révolte. Car depuis onze ans, l’actualité autour de l’affaire, ce sont aussi des communes du Berry qui donnent le nom de Mis et Thiennot à un lieu public. Tout commence en 2005 au Poinçonnet, où le maire et son conseil municipal décident de nommer deux salles de réunion Espace Mis et Thiennot. Un acte militant qui suscite des menaces de la part de la Préfecture car il est interdit de donner à des lieux publics le nom de meurtriers condamnés. Mais ces menaces ne seront jamais suivies d’effet. Ce qui se comprend car une confrontation judiciaire aurait montré au grand jour les manquements de la Justice. Depuis 2005, d’autres communes ont fait cette démarche courageuse qui montre le refus de ce que les juristes appellent la « vérité judiciaire ». Cette notion est inacceptable dans l’affaire Mis et Thiennot, où les juges, au fil des trois procès en Cour d’assises, ont fait preuve d’une effarante légèreté de discernement, d’un irrespect des règles de déontologie de la jurisprudence, et d’une coupable volonté de ne pas remettre en cause les jugements rendus par leurs confrères.
Cette connivence a continué à les guider quand, à partir des années 1980, nous avons déposé nos requêtes en révision, avec des dizaines de faits nouveaux qui tous ont été rejetés, balayés avec des arguments d’une malhonnêteté évidente.
C’est révoltant.
Bélâbre est la vingtième commune à honorer ces deux victimes d’un acharnement judiciaire. Monsieur le Maire, nous vous remercions très chaleureusement, vous et votre Conseil municipal, de ce geste courageux et généreux. Vous rendez hommage à des gens qui ont porté toute leur vie le poids d’une condamnation injuste et infondée.
Vous nous apportez un précieux soutien dans notre combat pour l’innocentement de Raymond et Gabriel. Car les six refus que les magistrats ont rendus à nos requêtes en révision nous ont certes profondément déçus, mais nullement découragés. Nous n’abandonnons pas. Nous demandons au législateur de changer la loi qui régit la révision des procès. Cet amendement doit permettre aux juges d’accepter la révision du procès dans les cas où la preuve rapportée de la culpabilité l’a été par l’usage de la torture.
Après 70 ans – nous commémorerons ce triste anniversaire le 29 décembre prochain au Poinçonnet – l’affaire Mis et Thiennot est et restera notre préoccupation tant que la Justice n’aura pas reconnu son erreur, que nous n’aurons pas obtenu la révision de leur procès.
Nous sommes tous les enfants de Mis et Thiennot.
Helga Pottier, présidente du Comité de Soutien pour la Révision du Procès Mis et Thiennot