Le 1er décembre 2012, la commune du Blanc (36300) inaugurait le Parc Urbain Mis & Thiennot, soit le dixième lieu public inauguré dans le département de l’Indre. Fort était le symbole, étant donné qu’il s’agit déjà d’une sous-préfecture, mais aussi de l’endroit même où se trouvait le tribunal correctionnel qui a jugé et condamné en 1947 ceux qui ont été injustement pris pour être les complices du meurtre du garde-chasse Louis Boistard.
Discours d’Alain Pasquer
Monsieur le Député, cher Jean Paul
Monsieur le Président du Comité , cher Léandre,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs les membres du Comité de soutien,
Chers amis,
Soyez les bienvenus dans ce lieu que nous venons de dédier officiellement à deux hommes , à deux amis Gabriel Thiennot et Raymond Mis, et à travers leurs noms, à d’autres amis, à tous leurs camarades jugés d’ailleurs ici au tribunal du Blanc en octobre 1947, victimes eux aussi d’une des plus grandes injustices du siècle dernier.
Nous sommes ici dans un des quartiers les plus emblématiques de la ville puisqu’il s’agit du quartier de la gare laquelle a joué durant de nombreuses décennies, un rôle économique et social majeur.
Projetons-nous dans le passé, dans cette période très incertaine de l’après guerre.
Ici, à cette époque circulent beaucoup de trains de voyageurs et de marchandises, c’est un lieu animé, un nœud ferroviaire régional majeur et l’architecture des bâtiments que nous avons souhaité conserver en témoigne: une grande activité ferroviaire règne.
Gabriel Thiennot et Raymond Mis et leurs camarades ont alors une vingtaine d’années, parfois moins ; ce sont des jeunes, qui habitent cette Brenne, une région dont on vante beaucoup aujourd’hui les paysages mais où la vie alors et aujourd’hui encore, est loin d’être facile sauf pour les grands propriétaires au service desquels beaucoup travaillent..
Et en décembre1946, dans cette Brenne à la porte de laquelle la ville du Blanc se trouve, près d’ici, un drame se noue et se déroule, un drame qui va faire basculer le destin de ces jeunes hommes. De ces hommes qui ne demandaient qu’à vivre une vie ordinaire, une machine va faire des coupables, coupables de rien sinon d’avoir été idéalement là. Une horrible machine policière et judiciaire, inspirée des méthodes de la guerre, indigne de notre pays, va les broyer, atteindre profondément leur dignité, leur identité.
vUne gare, c’est l’endroit où l’on arrive avec son histoire, son passé : l’histoire de ces hommes va connaître un brutal arrêt; ils ne seront plus jamais les mêmes, brisés dans leur jeunesse, dans leur vie personnelle, gardant durant toute leur existence, une blessure grave et profonde, trop grave, trop profonde. Beaucoup aujourd’hui nous ont quittés sans connaître la reconnaissance de leur innocence. André Chichey, Émile Thibault, Gervais Thibault , Stanislas Mis. Et bien entendu Gabriel Thiennot et Raymond Mis.
J’ai lu Léandre , le remarquable hommage que tu as rendu à Bernard Chauvet, Bernard Chauvet qui n’avait que 17 ans lors du drame et qui est récemment décédé. Tu évoques la souffrance de ces hommes, leur honte même, leur difficulté à raconter comme c’est le cas d’ailleurs de tous les hommes et de toutes les femmes qui connaissent les terribles épreuves collectives que sont par exemple les guerres ou les catastrophes de tous ordres.
La gare, c’est aussi l’endroit d’où l’on part, avec ses espérances, la joie de retrouver celle ou celui qu’on aime, l’envie d’un avenir meilleur.
Ces hommes ont aussi espéré toute leur vie mais alors que les autres tentaient de maîtriser leur destin, ces hommes là ont dû se battre avec une rare constance pour que justice leur soit rendue, pour que leur innocence soit proclamée et donc tenter de redevenir des hommes comme les autres.
Grâce à toi Léandre et à la parution de ton livre Ils sont innocents, une mobilisation qui ne demandait qu’à s’exprimer mais qui restait rentrée, a fini par exploser publiquement.
Le Comité de défense a multiplié les actions. 5 requêtes en révision malheureusement rejetées ont été déposées. Nous avons bien sûr une pensée pour le beau combat mené par Jean Paul Thibault qui nous a quitté trop tôt, en 2010, Jean Paul qui a consacré tant de son temps et de son énergie bénévoles à défendre ces hommes qui furent plus qu’injustement condamnés, qui ont connu de vrais sévices, des tortures inadmissible inspirées de la période de la guerre.
Et cette gare, ce lieu que nous allons désormais appeler Parc Mis et Thiennot est à l’image de ce combat. Elle restera le témoignage de l’histoire.
Regardons la photo qui a servi de support à l’invitation et j’en remercie Pascal Szkolnik, son auteur : regardons la clarté qui illumine le bâtiment et la grue que nous avons conservée et qui témoignage du passé ferroviaire. Il y a comme là l’ expression d’un drame dans le jeu d’ombre et en même temps, il y a cette lueur, cette clarté qui expriment l’espoir.
Oui, Gabriel et Raymond, André, Émile, Bernard, Gervais, Stanislas, Jean qui est des nôtres, vous avez connu un épouvantable drame mais vous êtes innocents et justice vous sera rendue !!! la ville du Blanc est à vos côtés !!!!
Léandre, tu as dit dans un de tes discours récents :
« Alors me direz-vous, combien de placettes, de rues faudra-t-il encore inaugurer ?
et tu ajoutes
« La question ne se pose pas. L’essentiel est ailleurs. Il est dans l’affirmation de notre exigence de justice ! »
Tu as raison : cette inauguration comme celle de St Gaultier, Mouhet, Argenton, Villedieu… et d’autres à venir encore , c’est l’expression d’un important soutien populaire, de tout un département à des hommes qui n’étaient pas des notables, qui étaient des hommes simples, des hommes de chez nous, d’une extrême humanité et sensibilité et à qui la vie a réservé le plus injuste sort qui soit !
Oui Justice vous sera rendue !!
Je vous remercie.
Alain Pasquer, maire du Blanc
Discours de Léandre Boizeau
« Le tribunal déclare Thibault Émile, Mis Stanislas, Chauvet Bernard, Chichery André, Thibault Gervais, Blanchet Jean, respectivement coupables et convaincus d’avoir commis le délit d’abstention volontaire d’empêcher un fait qualifié crime et les condamne aux peines suivantes : Thibault Émile, 2 ans de prison, Mis Stanislas, 2 ans de prison, Chauvet Bernard, 2 ans de prison, Chichery André, 18 mois de prison, Thibault Gervais, 18 mois de prison, Blanchet Jean, 18 mois de prison. »
Cette sentence prononcée par le président du tribunal correctionnel du Blanc le 13 octobre 1947 scellait le destin de six jeunes garçons et associait à jamais leurs noms à ceux de Mis et Thiennot.
À cet instant, je veux saluer la mémoire de Bernard Chauvet qui nous a quittés au mois d’octobre dernier et qui était un homme remarquable, apprécié de tous ceux qui l’ont connu. Aujourd’hui, au Blanc, dans la ville où il a été condamné, son absence est encore plus cruellement ressentie par tous ses amis du Comité de Soutien.
Je veux aussi saluer la présence parmi nous de Jean Blanchet, l’unique survivant de cette terrible affaire qui, malgré l’âge, malgré la maladie, a tenu à être ici pour honorer la mémoire de ses compagnons de souffrance.
L’affaire Mis et Thiennot, on l’oublie trop souvent, ce n’est pas que le drame de deux malheureuses victimes d’une monstrueuse erreur judiciaire mais celui de huit hommes qui ont vécu le même calvaire et qui ont lutté en vain toute leur vie pour que justice leur soit rendue.
Dans la mairie et la gendarmerie de Mézières-en-Brenne, en janvier 47, on n’a pas cassé que des phalanges, des molaires et des côtes, on a, aussi cassé des vies. Ce sont des hommes brisés qui sont sortis des mains des « enquêteurs », des hommes qui n’ont jamais pu, par la suite, retrouver pleinement le droit-fil de leur destinée.
« On dira ce qu’on voudra, mais on a tout de même fait de la prison ! dira un jour, bien plus tard, Jean Blanchet. Et pour la famille, les amis, la prison, ça reste de la prison… » Sa manière à lui de traduire sa peine, sa souffrance cachée, son désarroi devant tant d’acharnement affiché par une justice aussi sourde qu’aveugle. Une justice qui, jusqu’à ce jour, s’est toujours ingéniée à ne pas reconnaître ses erreurs et, pire encore, ses fautes.
Notre présence ici, aujourd’hui, 65 ans après ce jugement rendu au tribunal du Blanc pèse donc son poids de symbole. Elle pèse d’autant plus que c’est ici, dans cette ville, que Daraud, le chef des tortionnaires de Mézières-en-Brenne, a fait ses premières armes entre 1941 et 1944 en tant que commissaire de police. Et quelles armes ! Dénonciateur auprès des autorités allemandes d’activités de résistance sur le secteur du Blanc. Destinataire privilégié de la note du Ministre de l’Intérieur en date du 20 Août 1942 N°489 ayant pour objet : Agissements des Juifs et signée René Bousquet. Cette note lui a été adressée sous le N°1691/CI Elle sera suivie le 26 Août de la rafle des Juifs étrangers qui s’étaient réfugiés en zone libre par la police française. Ceux de la région du Blanc seront d’abord regroupés au camp de Douadic pour être ensuite dirigés sur celui de Nexon, puis Drancy avant d’être déportés en Allemagne nazie.
Méprisé par les Résistants blancois et par la population, il disparaîtra de la circulation à la Libération pour réapparaître l’année suivante sous les traits d’un commissaire de la 20ème Brigade de Police Judiciaire de Limoges. Et se plantera lamentablement dans l’affaire du quadruple assassinat de Bommiers avant de débarquer à Mézières-en-Brenne avec la morgue et le zèle des collabos repentis. Beau palmarès pour cet expert du rapport carambouillé, « coutumier » des aveux extorqués par la violence comme il est écrit dans le rapport d’enquête menée par la Chancellerie à la demande du Président Coty en 1954 !
Le spécialiste de la prière des Juifs a pu opérer en toute quiétude pendant huit jours et huit nuits dans la Mairie de Mézières-en-Brenne ! Avec ses aides, il a pu frapper, frapper et frapper encore jusqu’à maculer les murs de sang, jusqu’à ce que les malheureuses victimes des sévices, saoulées de coups, prennent des machines à écrire pour des postes de T.S.F. et que, dans la foulée, la Justice prenne des vessies pour des lanternes.
On ne dira jamais assez le degré d’ignominie atteint par ces policiers-là et par les gendarmes de cette brigade qui, à une exception près, se sont joints à eux pour commettre de tels actes inqualifiables.
Ces faits sont connus depuis 65 ans, reconnus par la Justice elle-même depuis 58 ans et pourtant, après trois cours d’assises et cinq requêtes en révision, on en est toujours au même point. À force qu’elle nie les évidences, on finirait presque par compatir : Pauvre justice ! serait-on tenté de dire.
Mais nous ne pouvons en rester là et c’est la raison de notre combat au sein du Comité de Soutien pour la révision du procès Mis et Thiennot. Ce comité a vu le jour, il y a plus de 30 ans. Il n’a jamais cessé de lutter pour que justice soit rendue à Raymond Mis, Gabriel Thiennot et leurs 6 compagnons d’infortune. Avec le sentiment partagé par tous que cet engagement dépasse bien largement le cadre étroit d’une erreur judiciaire à réparer. C’est de l’idée que nous nous faisons de la Justice dont il est question. Et les élus de ce département l’ont bien compris qui s’engagent eux aussi dans une démarche courageuse au regard de la loi.
Donner le nom de « Mis et Thiennot » à une place ou à une rue est légalement interdit. En outrepassant cet interdit ils marquent eux aussi leur attachement à une certaine idée de la Justice. Et c’est une marque très importante de soutien au combat que nous menons.
Aujourd’hui, au Blanc,nous inaugurons le dixième lieu public portant le nom de Mis et Thiennot. Jean-Paul, Alain, soyez nos interprètes auprès des membres du Conseil Municipal pour les remercier d’avoir fait ce choix. Nous sommes à la veille du dépôt de la 6éme requête en révision devant la Cour de Cassation.
Le parc Mis et Thiennot est sur les hauteurs de la ville.
C’est un bel espace porteur d’espoir.
Léandre Boizeau
Hommage de Christian Pineau
Hommage à Bernard Chauvet et à ses cinq compagnons condamnés au Tribunal Correctionnel du Blanc en Octobre 1947
En venant aujourd’hui au Blanc inaugurer le Parc Mis et Thiennot, il nous a semblé évident, si ce n’est incontournable, de rendre hommage à Bernard Chauvet qui vient récemment de nous quitter, sans avoir été réhabilité dans son honneur d’homme innocent.
N’oublions pas que c’est ici que se tenait le Tribunal Correctionnel où ont été condamnés ceux que la justice et une certaine presse de l’époque désignaient alors comme « les complices du meurtre du garde Boistard » dans le crime de Saint-Michel-en-Brenne.
C’est ici donc que se déroula, les 2 et 3 octobre 1947, le procès de Bernard Chauvet et de ses compagnons d’infortune, Émile et Gervais Thibault, Stanislas Mis, André Chichery et Jean Blanchet. Deux jours d’un procès inique où chacun a clamé son innocence. En vain !
Car c’est ici enfin que, le 13 octobre 1947, ce même Tribunal rendait son verdict, condamnant Émile Thibault, Stanislas Mis et Bernard Chauvet à 2 ans de prison fermes, André Chichery, Gervais Thibault et Jean Blanchet, le seul survivant de cette terrible tragédie, n’écopant, eux, que d’une peine de 18 mois ! Condamnés, je cite, «pour abstention volontaire à empêcher un crime » !
Et rien ni personne ne voulut jamais reconnaître leur innocence,puisque la Cour d’Appel de Bourges confirmait le 12 février 1948 le jugement du Tribunal du Blanc condamnant les « complices » de Mis etThiennot.
Soixante-cinq ans après, nous savons bien qu’ils sont innocents et, si nous sommes tous là aujourd’hui au Blanc, c’est pour rappeler à la Justice française qu’elle se doit de reconnaître ses erreurs et qu’elle s’honorerait de le faire. Pour qu’enfin des hommes injustement condamnés comme Émile et Gervais, Stanislas et André, Jean et toi, Bernard retrouvent leur honneur d’hommes libres et respectables !
Sachez que le combat continue !Nous sommes tous les enfants de Mis et Thiennot !
Christian Pineau