Jean-Paul Thibault

Pendant plus de trente ans Jean-Paul Thibault fut l’avocat (bénévole) du Comité de Soutien à Mis & Thiennot. Il s’est éteint à l’hôpital de Châteauroux en octobre 2010 (Indre) des suites d’un cancer.

Dans un article, paru dans le numéro 117 de la Bouinotte – Le magazine du Berry -,  Léandre Boizeau lui rendait un fort et émouvant hommage :


Jean-Paul Thibault affiche une prédilection pour les affaires pénales. 

Qu’il s’agisse de l’affaire Mis et Thiennot ou de projet de réforme de la justice, le bâtonnier de l’ordre des avocats de Châteauroux ne se départit pas de son franc-parler. Rencontrer Jean-Paul Thibault, c’est d’abord rencontrer le défenseur de Mis et Thiennot. L’avocat est né en 1952, un an après le procès de Bordeaux condamnant Raymond Mis et Gabriel Thiennot, les deux jeunes Brennoux, à quinze ans de prison pour le meurtre du garde-chasse Louis Boistard. Son père était artisan plombier à Saint-Gaultier, à une trentaine de kilomètres à peine du lieu du crime. « Naturellement, on parlait encore beaucoup  de cette affaire dans ma famille, se souvient-il, en plaignant ces « pauvres gars » emprisonnés. Cela m’a marqué même si cela n’a pas décidé directement de ma vocation d’avocat. » 

Un jury de révision

Graciés en 1954 par le président Coty après avoir purgé la moitié de leur peine, Raymond Mis et Gabriel Thiennot ont toujours clamé leur innocence. En 1980, ils veulent que celle-ci soit reconnue officiellement. Un comité de soutien se forme. Jeune avocat inscrit depuis six ans au barreau de Châteauroux, Jean-Paul Thibault se rend à ses réunions et propose son aide bénévole. Depuis, comme on le sait, la Cour de cassation a rejeté cinq requêtes en révision. La dernière remonte à 2007 : « Cette fois, nous apportions pourtant la preuve par les archives de la chancellerie que la police avait torturé pour obtenir des aveux, note Jean-Paul Thibault. Nous apportions également le témoignage de personnes devant qui le véritable meurtrier s’était lui-même accusé. Témoignage que la cour a ignoré purement et simplement. Il faut se rendre à l’évidence : les hauts magistrats de la commission de révision ne sont pas accessibles au doute ! » Aujourd’hui, les deux accusés étant décédés, la compagne de Raymond Mis et la famille de Gabriel Thiennot continuent le combat. Tout comme Jean-Paul Thibault qui fonde ses espoirs sur une nouvelle loi qui confierait la révision des procès à un « jury de révision national : ce serait cohérent puisque les jurés ont aussi leur part de responsabilité dans l’erreur initiale, explique-t-il. Et on peut parier que ce nouveau jury serait plus enclin à reconnaître les erreurs du passé que les magistrats. » Lycéen à Châteauroux, Jean-Paul Thibault a fait ses études de droit en Allemagne, à l’université française de Sarrebrück. Second de sa promotion (derrière Jacques Bigot, candidat PS en Alsace aux dernières régionales), il renonce, ne parlant pas le patois, à s’établir à Strasbourg. 

Un généraliste du droit

À Châteauroux, il devient, « comme tous les avocats de province, » un généraliste du droit. Il affiche cependant trois spécialités : droit social, droit de la famille et, surtout, droit pénal. « J’estime qu’un avocat se réalise pleinement lorsqu’il défend un citoyen au pénal, que celui-ci soit coupable ou innocent, déclare-t-il. Même si on intervient souvent dans le cadre de l’aide juridictionnelle et que cette voie est moins rémunératrice que d’autres spécialités, on remplit une mission importante :  défendre un individu face à une machine judiciaire capable de le broyer. » Un combat jamais gagné d’avance comme en témoignent les deux affaires marquantes qui lui viennent à l’esprit. La première est celle de ce Castrais qui avait tué l’époux de sa maîtresse « dans un état véritablement second. Il était de plus dépressif et prenait des médicaments. J’ai essayé en vain de mettre en évidence ce contexte passionnel. Les jurés de l’Indre ont été très sévères et l’ont condamné à vingt ans. Heureusement, l’affaire a été rejugée à Tours et le jury, moins directement impliqué, examinant les choses plus sereinement, a divisé la peine par deux, ce qui est très rare ! » Autre affaire emblématique, celle, plus récente, de ces parents accusés par leurs enfants d’abus sexuels : « Jétais convaincu de leur innocence. Le jury a condamné le père et gracié la mère. C’était comme si Outreau n’avait servi à rien ! »

« La justice a un coût mais n’a pas de prix »

Pour le bâtonnier des avocats du barreau de Châteauroux, l’exemple d’Outreau n’aura pas non plus servi à réformer efficacement la justice : « L’actuel projet de réforme suscite la perplexité, avoue-t-il. Pourquoi supprimer le juge d’instruction avant même d’avoir testé le pôle d’instruction dont la création, décidée après Outreau, devait rompre l’isolement du juge et diminuer le risque d’erreurs ? Qui plus est, on le supprime pour le remplacer par un juge d’instruction bis : le juge de l’enquête et des libertés. On a parlé du risque de mainmise du pouvoir sur la justice. On peut aussi soupçonner le gouvernement de vouloir faire des économies en réduisant le nombre d’expertises, ces dernières étant souvent demandées par le juge d’instruction. Le gouvernement a une vision comptable du service public de la justice, on l’a vu lors de la suppression des tribunaux d’instance. Or, la justice a un coût mais n’a pas de prix ! » On peut le constater, Jean-Paul Thibault est aussi incisif que disert : « J’ai un côté rebelle, reconnaît-il. J’estime qu’il ne faut jamais se coucher devant l’injustice. Le problème est qu’aujourd’hui la peur du lendemain freine la révolte. Or, quand on n’est plus rebelle, on n’est plus citoyen. » Rebelle, Jean-Paul Thibault l’est également en politique, jusque dans son propre camp puisqu’il s’est présenté contre Michel Sapin à Châteauroux aux législatives de 2007. Maire de Villedieu-sur-Indre depuis 1983, il préside depuis douze ans la communauté de communes Val de l’Indre-Brenne. Conseiller régional pendant trois ans, conseiller général pendant dix-huit ans, son grand regret est de ne pas avoir été parlementaire, « une fonction particulièrement intéressante pour un juriste puisqu’on participe à l’élaboration des lois. » À défaut, il ne cache pas qu’il se verrait bien conduire la liste de gauche à Châteauroux aux prochaines municipales. Une affaire à suivre…

Frédéric Merle – L’Echo du Berry, le 31/03/2010