« Il était temps de se joindre à ce mouvement ! …Il y a certains silences qui pèsent lourd… ». C’est en ces termes que s’exprimait Gil Avérous – le nouveau Maire de Châteauroux – ce samedi 6 juin 2015 à l’entrée du quartier Beaulieu. Quartier où a vécu Gabriel Thiennot et sa famille entre 1962 et 1979.
La symbolique est de taille ! Et pour nous, qu’un Espace Mis & Thiennot voit le jour dans Le chef lieu du Département où se sont déroulés les faits, c’est, bien sûr un encouragement, mais peut-être aussi l’incitation à ce que d’autres communes viennent rejoindre la cause Mis & Thiennot en s’engageant et s’impliquant de façon claire et précise.
Depuis, comme il s’y était engagé, Gil Averous a adressé à l’ensemble des Maires du Département de l’Indre un courrier, incitant ces derniers à soutenir la cause Mis & Thiennot en inaugurant également un espace public dans leur commune.
Photos réalisées par Christian Pineau, membre administrateur du Comité de Soutien
Discours de Gil Avérous
Mesdames, Messieurs,
Il y a près de 70 ans, un drame allait marquer notre département. En ce 29 décembre 1946, moins de deux ans après la fin d’une Guerre Mondiale qui laissa tant de cicatrices à notre pays, était abattu, par 4 balles, le garde-chasse Louis BOISTARD, près d’un étang de Saint-Michel-en-Brenne.
Personne, à cet instant, pouvait alors imaginer que cette mort, forcément tragique, amènerait des questions, qui des décennies plus tard, resteraient encore sans réponses ?
Dans cet hiver berrichon, un groupe de chasseurs, dont les jeunes Raymond MIS et Gabriel THIENNOT, furent arrêtés et interrogés, durant 8 jours et 8 nuits. Les conditions de ces interrogatoires posent encore aujourd’hui de nombreuses questions. N’ayons pas peur de le dire: interroger plus d’une semaine, parfois au beau milieu de la nuit, et utiliser des violences physiques et psychologiques, jette l’ombre sur les aveux que livreront MIS et THIENNOT.
Condamné à 15 ans de travaux forcés, Raymond MIS et Gabriel THIENNOT, qui reviendront quelques jours plus tard sur leurs aveux, dénonçant des pressions, ne doivent leur liberté, après 7 ans d’emprisonnement, qu’à la grâce présidentielle de René COTY. La grâce a été accordée mais reste l’honneur à rétablir.
L’honneur d’un Homme ne s’achète pas, ne se négocie pas, ne se décrète pas. C’est pour défendre cette valeur que les familles de MIS et THIENNOT, portées par un Comité de soutien bien décidé à faire entendre leur voix, continuent de se battre pour que la Justice accepte leur demande de révision, déjà 6 fois refusée.
Le Politique n’a pas vocation à interférer dans les décisions de Justice dont il doit garantir l’indépendance. Aucune excuse, aucune raison ne saurait justifier l’inverse. Le citoyen, lui, a le droit et, oserais-je dire, a le devoir, d’exiger une Justice équitable. Cette belle institution, qui est l’un des piliers de notre République, doit pouvoir se retourner vers le passé et prendre le risque de se remettre en question. Rien de plus. Cela ne veut pas dire qu’il faille présager ou imposer tel ou tel verdict, chacun aura son propre avis. Mais j’appelle à l’humilité de tous: qui peut aujourd’hui affirmer qu’il connaît une vérité vieille de 70 ans ?
Oui, hier comme aujourd’hui, et quand je vois avec quelle force se bat le Comité de soutien à MIS et THIENNOT je peux sans risque parler de demain, la seule idée qui nous rassemble est la vérité. Ce qui nous uni aujourd’hui, c’est ce sentiment d’injustice face au mensonge, à la dissimulation et au manque de courage.
Saurons-nous un jour la vérité et celle-ci sera-t-elle enfin reconnue ? Quelle qu’elle soit j’espère que nous saurons pour tous ceux qui se battent depuis 70 ans et qui continuent de le faire pour défendre leurs idéaux de justice.
Cet espace MIS et THIENNOT ne fera pas polémique car il rappellera qu’en 1946, un fils d’immigré polonais et un jeune communiste notoire, comme l’avait qualifié un gendarme d’alors, ont vu leur vie basculer et nous donnent encore aujourd’hui l’occasion, de nous interroger sur notre conception de la Justice et de débattre ensemble. Je souhaite que cet espace, au cœur du quartier Beaulieu où vécut Gabriel MIS, permettent à la jeune génération de Castelroussins et plus largement, de français, de défendre la Justice, une valeur qui ne doit jamais être prise pour acquise car en la protégeant et en a la renforçant, c’est la République que nous rendons plus forte.
Enfin, je suis persuadé qu’en multipliant les dénominations d’espaces publics«Raymond MIS et Gabriel THIENNOT», ce sont des lieux de mémoire que nous créons et c’est une partie de leur honneur que nous leur rendons.
Je vous remercie.
Gil Avérous, maire de Châteauroux
Discours d’Helga Pottier
« Mis et Thiennot ? Oui, oui, je connais cette affaire, ça s’est joué par ici, en Brenne je crois… Cela fait longtemps ! Mais il y en a un qui est encore en vie, je crois… Ils ont fait de la prison alors qu’ils étaient innocents. On n’a jamais trouvé le vrai coupable. Si, si, il y en a qui se battent encore pour eux, mais ça, si vous me demandez à moi, c’est de la peine perdue, vous savez, la justice …»
Des commentaires de ce genre, on en entend parfois.
Alors il faut rectifier :
En janvier 1947, huit jeunes chasseurs sont accusés de meurtre d’un garde-chasse, Louis Boistard, retrouvé dans un étang près de Saint-Michel-en-Brenne. Pendant leur garde à vue, ils subissent des interrogatoires musclés que l’on doit appeler de la torture. Après huit nuits de ce traitement, tous signent des aveux préparés à l’avance. Ils arrivent à la prison de Châteauroux dans un tel état que les gardiens appellent le médecin pour qu’il constate que ce n’était pas eux qui leur avaient causé les blessures : hématomes, oreilles décollées, dents cassées, phalanges éclatées, côtes cassées, poumon perforé, testicule écrasé – le constat est très lourd.
Malgré cela, et en dépit des preuves matérielles qui seront toutes invalidées, Raymond Mis et Gabriel Thiennot sont condamnés par trois Cours d’Assises à 15 ans de travaux forcés. Leurs camarades d’infortune, eux, feront 18 mois ou 2 ans de prison. Ils s’appellent Émile Thibault, Gervais Thibault, Stanislas Mis, André Chichery, Bernard Chauvet et Jean Blanchet… Jean Blanchet qui est le seul survivant de l’affaire Mis et Thiennot.
Il était pourtant facile de trouver le vrai coupable, proche du lieu de la découverte de la victime, si on s’était donné la peine de chercher. Et si on avait interrogé les nombreux témoins qui contredisaient la thèse officielle.
Mais pour la justice, les aveux sont la reine des preuves, et ceci même quand ils sont obtenus sous la contrainte. C’est cela qui est honteux, révoltant et inacceptable. Inacceptable sur un plan moral, mais aussi inacceptable sur le plan juridique. Car la France a signé la convention internationale contre la torture de New York en 1984. La justice, d’ailleurs, reconnaît que Raymond, Gabriel et les autres ont été torturés, les rapports des enquêteurs de nos cinquième et sixième requêtes l’attestent.
Alors il faut amender la loi de 1989 sur la révision des procès. Il est à souligner que c’est le président de la Commission de Révision lui-même qui nous l’a conseillé après la lecture du rejet de notre sixième requête.
C’est sur cette voie que nous continuons notre combat. Actuellement, nous soumettons aux parlementaires de notre région un texte, validé par nos avocats Jean-Pierre Mignard et Pierre-Emmanuel Blard, qui stipule que tout aveu obtenu sous la contrainte entraîne automatiquement la révision du procès.
Après cet amendement, nous pourrons déposer notre septième requête en révision. La justice n’a pas fini de s’occuper de l’affaire Mis et Thiennot.
Notre détermination est intacte parce que nous savons que notre combat est juste.
Les habitants du Berry aussi le savent. Déjà 15 communes ont donné le nom de Mis et Thiennot à un lieu public. 15 communes qui soutiennent notre cause.
Châteauroux est la seizième. Nous sommes très heureux et touchés d’assister à l’inauguration de l’Espace Mis et Thiennot ici dans le quartier de Beaulieu. Monsieur le Maire, nous vous remercions très chaleureusement, vous et votre Conseil Municipal, de rendre hommage à ces deux victimes d’un acharnement judiciaire. C’est un acte courageux de s’opposer à une décision de justice. Il montre qu’elle n’est pas acceptée par la population, toujours indignée par l’injustice.
Mais c’est aussi un symbole. Et quel symbole fort ! Un Espace Mis et Thiennot à Châteauroux, chef-lieu du département où s’est déroulée cette terrible affaire, ville où a eu lieu en juin 1947 le premier procès devant la Cour d’Assises (cela fait donc exactement 68 ans). Et ici à Beaulieu où Gabriel Thiennot a participé en tant que maçon à la construction des immeubles de ce quartier et où il a vécu pendant 17 ans avec sa famille – de 1962 à 1969 d’abord : 4 place de Bretagne, puis de 1970 à 1979 :37 rue d’Aquitaine. Jeannine et ses enfants en conservent de nombreux souvenirs.
Il est important que des communes, qu’elles soient petites et rurales, ou encore, de grandes villes comme Châteauroux, soutiennent le combat du Comité de soutien.
Il est important que justice soit enfin rendue à Raymond, Gabriel et à leurs compagnons. Important pour leur honneur, comme pour nous tous. Car nous ne sommes pas à l’abri d’une telle injustice : nous pouvons tous avoir, un jour, la malchance d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Nous comptons tous sur une Justice qui sache reconnaître ses erreurs. Parce que nous sommes tous des enfants de Mis et Thiennot.
Helga Pottier, présidente du Comité de Soutien pour la Révision du Procès Mis et Thiennot