Ils étaient nombreux (habitants, élus, membres du Comité…), ce samedi 11 juin, à s’être déplacé pour honorer ce bel événement.
Photos réalisées par Christian Pineau , membre administrateur du Comité de Soutien
Monsieur le Maire , Maxime Camusat, a vraiment œuvré pour que son Conseil, à l’unanimité, accepte la réalisation de ce projet. Expliquant que c’est par son épouse, originaire de la ville du Blanc, qu’il avait pris connaissance, il y a très longtemps, de l’Affaire Miss & Thiennot.
Discours de Léandre Boizeau
Il est des jours sans soleil, sans espoir de voir au-delà du brouillard, des jours où même les rêves buttent sur la grisaille, des jours sombres comme marqués du sceau de la désespérance. Le 29 décembre 1946 fut de ceux-là.
Ce jour-là, en Brenne, un homme, Louis Boistard, garde-chasse sur la propriété Lebaudy, tomba, lâchement assassiné.
Et parce qu’ils étaient là, dans ce même secteur, ce même jour, huit jeunes hommes qui ne se connaissaient pas la veille, réunis par une partie de chasse coup du sort, vont voir leur destin basculer dans l’horreur.
Raymond Mis, Gabriel Thiennot, Bernard Chauvet, Jean Blanchet, Gervais Thibault, Emile Thibault, André Chichery, Stanislas Mis avaient entre dix-huit et vingt-cinq ans.
Ils s’ouvraient enfin à la vie, après les cinq ans de guerre que le pays venait de traverser, ils croyaient en des jours meilleurs, faisaient des projets d’avenir…
Stupidement suspectés d’être les auteurs de ce crime, ils vont d’abord être entendus par les gendarmes de Mézières-en-Brenne avant d’être pris en main – c’est le terme qui convient – par une équipe de tortionnaires émargeant à la P.J. de Limoges.
Quelle est-elle cette police d’après-guerre ? Elle descend en droite ligne de la police de Vichy, celle qui s’est illustrée dans la chasse aux résistants et aux juifs avant d’afficher un simulacre de ralliement aux thèses de la Résistance à la Libération. Profil bas pendant quelque temps pour échapper aux foudres des Comités de Libération avant de reprendre du service. Et quel service !
De leur passé récent, ils ont conservé les bonnes vieilles méthodes : on injurie, on malmène, on frappe.
La liturgie policière du « bon » et des « méchants » est toujours la règle : les « méchants » frappent jusqu’à ce qu’aveu s’ensuive. L’aveu, c’est le « bon » qui le recueillera et le labellisera dûment « spontané » pour lui donner du poids.
La P.J. de Limoges était une spécialiste du genre. Quelques années plus tard, dans les années cinquante, après l’épuration des archives de la police, doriotistes, pétainistes et collabos de tous poils, profitant des circonstances politiques favorables n’hésiteront plus à relever la tête. Et c’est elle, la P.J. de Limoges, qui arrêtera Georges Guingoin, une figure emblématique de la Résistance, l’homme qui leur avait fait si peur en 1944 et qui sera victime en prison d’une tentative de « suicide » avant d’être finalement libéré.
A Mézières-en-Brenne, ils vont frapper pendant huit jours et huit nuits, les « méchants » sous la conduite du Commissaire Daraud, bien connu dans la région du Blanc où il a été commissaire de police de 1942 à 1944, « un coutumier du fait » (je cite le magistrat de la Chancellerie rédacteur du rapport du 8 Octobre 1952) avant que l’inspecteur Duval , cité lui aussi dans ce même rapport comme un spécialiste des « aveux pas absolument probants », joue son rôle de « bon » qui va recueillir les aveux spontanés des huit malheureuses loques qu’on traîne devant lui.
Des hommes cassés.
Je les ai tous rencontrés à l’exception d’André Chichery qui avait déjà disparu quand j’ai mené mon enquête sur l’affaire Mis et Thiennot.
Je peux témoigner du fait que tous étaient cassés. Tous étaient abîmés par ce qu’on leur avait fait subir, par le reniement qu’on avait exigé d’eux-mêmes après leur avoir fait toucher le fond du désespoir.
Et ce sont ces aveux obtenus sous la contrainte et les coups que la Justice, en toute connaissance de cause à retenus pour les condamner.
Je cite le magistrat rédacteur qui dans une note du 3 mars 1953 écrira : « Des pièces établies postérieurement qui figurent dans le dossier, confirmera que des violences ont été commises par les policiers au cours de la garde à vue » Il nous faudra à nous, Comité de Soutien pour la Révision du procès Mis et Thiennot, plus de trente ans de combat et six requêtes en révision pour que la Justice d’aujourd’hui retrouve les fondamentaux de 1952 et reconnaisse officiellement que les aveux ont été obtenus par la contrainte et sous les coups. Trente ans de faux-fuyants d’une Justice aussi incapable de reconnaître ses erreurs que de juger les puissants de ce monde toujours bénéficiaires de non-lieux très convaincants. Trente ans de réflexion pour reconnaître que oui on leur a infligé de graves sévices mais que ce n’est pas suffisant pour réviser leur procès parce que ce n’est pas prévu dans le code pénal. « Adressez-vous au législateur ! » nous a lancé, après le refus de la 6ème requête, le Président de la Commission de révision, passé maître comme la plupart des magistrats que nous avons rencontrés dans l’art du botté en touche.
Nous l’avons pris au mot. C’est le combat que nous menons actuellement. Rude combat parce que le législateur peut lui aussi être un adepte du botté en touche. Le 29 février dernier, l’amendement proposé à la Commission des lois par Jean-Paul Chanteguet et M. Tourret demandait que l’article 622 du code de procédure pénale soit complété par l’alinéa suivant : « Elle (la révision) peut être demandée au bénéfice de toute personne reconnue coupable d’un crime ou d’un délit lorsque la preuve rapportée de la culpabilité l’a été par la torture, la violence ou la menace ». Cet amendement a été refusé par 10 voix contre 9. Et je ne vous inflige pas les raisons invoquées pour motiver ce refus. Lamentable ! Nous ne baissons pas les bras pour autant. Nous instruisons la même démarche auprès du Sénat avec l’espoir que les sénateurs seront plus enclins que ne l’ont été les députés à inscrire dans le droit français le strict respect des clauses de la Convention de New York de 1984 dont la France est signataire.
Au-delà de ces tristes péripéties parlementaires, il est des élus dont le soutien à la cause de Mis et Thiennot n’a jamais failli. Vous êtes de ceux-là, ici, à Saint-Germain du Puy, vous qui nous avez accueillis à plusieurs reprises dans le passé et qui aujourd’hui, vous honorez d’avoir pris la décision de donner à cette salle le nom de Mis et Thiennot.
Ce lieu public « Mis et Thiennot » est le dix-huitième en Berry à porter cette appellation. Nous dépasserons l’objectif fixé de vingt avant la fin de l’année. Preuve s’il en est que les édiles berrichons n’ont de leçon de courage à recevoir de personne ! Preuve s’il en est, que la vérité trace son chemin, au milieu des atermoiements des uns et du refus obstiné des autres, elle apparaît jour après jour plus lumineuse que jamais. Preuve s’il en est que rien n’arrête les citoyens épris de justice.
Le Comité de Soutien qui œuvre depuis si longtemps pour la révision du procès Mis et Thiennot avait besoin de vous. Vous avez su répondre « présent ! ». Soyez-en remerciés. Rejoignez nos rangs. Le combat continue. Il ne s’arrêtera que lorsque, enfin, on aura rendu Justice à Raymond et Gabriel.
Léandre Boizeau