Ce samedi 17 mars 2018, nous étions une bonne soixantaine à venir inaugurer un Espace Mis & Thiennot dans le petit village de Néons sur Creuse (36220). Un Espace ‘’OUVERT‘’ a précisé Daniel Champigny, Maire de la commune ! Un carré de verdure et d’échanges où l’on pourra s’y ébattre, y débattre, s’y détendre, s’y étendre, s’y entendre….
Un Espace de liberté où désormais la mémoire de Raymond et Gabriel planera et veillera à ce qu’à jamais on n’oublie leur histoire, cette ‘’monstrueuse‘’ histoire. Un Espace pour rappeler qu’il faut toujours être vigilant et, quoi qu’il arrive, se révolter (à tort et à travers) contre l’injustice, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne, quelque soient celles ou ceux qu’elle frappe et qui en ressortent meurtris…
Néons sur Creuse est la vingt-cinquième commune à franchir le cap du courage, de l’audace…, en affichant haut et fort son indignation et sa détermination à soutenir le combat du Comité de défense Mis & Thiennot.
Inauguration s’est poursuivie par un spectacle mettant à l’honneur la poésie du poète libertaire Gaston Couté, admirablement bien interprété par Yves Champigny qui n’est autre que le frère du Maire de Néons.
Discours d’Helga Pottier
Pour Raymond Mis et Gabriel Thiennot, il y a eu un avant et un après le 30 décembre1946, jour où ils se sont retrouvés ensemble à une partie de chasse, assez infructueuse par ailleurs.
Comment une banale partie de chasse peut-elle faire basculer une existence ? Comment, en plein cœur de la Brenne, peut-on, à 20 ans, se retrouver brisé à vie ? Tout simplement parce qu’on s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Un garde-chasse, Louis Boistard, a été assassiné ce même 30 décembre. Les policiers venus exprès de Limoges, ont fait en sorte que Raymond Mis, le Polonais et Gabriel Thiennot, le communiste, avouent un crime qu’ils n’ont pas commis. Comment faire avouer des personnes de tout et n’importe quoi ? En appliquant la bonne vieille méthode, bien rodée pendant la guerre, de la torture. Ils ont pourtant résisté, eux et leurs six camarades d’infortune. Ils sont «durs à cuire». Mais après huit jours et huit nuits de ce traitement,tous signent des aveux préparés à l’avance. Ils arrivent à la prison de Châteauroux dans un état pitoyable : le médecin constate hématomes, oreilles décollées, dents cassées, phalanges éclatées, côtes cassées, poumon perforé, testicule écrasé.
Comment les juges, pendant les trois procès en Cour d’assises en 1947, 1948 et 1950 ont-ils pu ignorer que l’enquête avait été entièrement conduite à charge, que les preuves matérielles avaient toutes été invalidées ?
Comment est-ce possible que les six requêtes en révision que notre Comité de soutien a déposées depuis 38 ans, aient toutes été rejetées ? Comment est-ce possible que des magistrats soient si bornés et ne reconnaissent pas l’erreur de la justice. Justice ? Elle est où, la justice, si des dizaines de faits nouveaux sont rejetés avec des arguments qui relèvent du mépris et de la mauvaise foi ? Elle est où, la justice, quand les juges reconnaissent qu’il y a eu torture, mais n’expurgent pas du dossier les aveux ainsi obtenus ? «Justice, ce n’est qu’un mot» disait Gabriel Thiennot, au bord des larmes, toujours plus désespéré après chaque refus de révision. Et les gens en Berry sont comme lui, ils n’y croient plus. Ils ne sont pas dupes et n’acceptent pas la soi-disant «vérité judiciaire» derrière laquelle les juges se cachent. La vérité tout court est autre : Raymond Mis, Gabriel Thiennot, ainsi que leurs six camarades d’infortune André Chichery, Émile Thibault, Gervais Thibault,Stanislas Mis, Bernard Chauvet et Jean Blanchet sont innocents.
Nous sommes révoltés par l’injustice qui a frappé huit jeunes gens et les a poursuivis toute leur vie. Nous n’acceptons pas que la Justice n’ait toujours pas admis qu’elle s’est trompée. C’est pourquoi nous continuons notre combat. Avant de déposer une septième requête en révision, nous demandons au législateur de changer la loi qui régit les révisions de procès : si les faits de torture sont avérés, une révision de procès devrait être accordée systématiquement.
Dans notre combat, nous avons un soutien de taille : des communes qui donnent le nom de Mis et Thiennot à un lieu public. Elles clament haut et fort qu’elles s’opposent à l’iniquité dont la justice a fait preuve dans cette affaire.
Néons-sur-Creuse est la vingt-cinquième commune à faire cette démarche. Monsieur le Maire, vous et votre Conseil municipal rendez ainsi hommage aux deux victimes d’une machination judiciaire, et nous vous en remercions très sincèrement. Vous avez le courage de vous opposer à cette justice qui ne veut pas se remettre en question. C’est un signe très fort que vous envoyez aux magistrats.
Il est temps qu’ils nous écoutent, qu’ils revoient le dossier avec un regard impartial, qu’ils admettent l’erreur de leurs confrères et qu’ils rendent enfin justice à Raymond et Gabriel.
Helga Pottier
Présidente du Comité de Soutien pour la Révision du Procès Mis et Thiennot
Discours de Daniel Champigny
Madame la Présidente du comité de soutien Mis et Thiennot, mesdames et
messieurs les élus, mesdames messieurs.
Nous nous retrouvons aujourd’hui encore pour nous souvenir de l’arrestation de 14 personnes en janvier 1947 et des condamnations injustes qui s’en suivirent.
Suite au meurtre du garde-chasse Boistard, elles furent arrêtées, puis interrogées de la plus ignoble des manières afin de leur arracher des aveux.
Six furent condamnés à des peines de prison, deux, Raymond Mis et Gabriel Thiennot, le furent au bagne.
Sept années plus tard, devant le trouble d’une enquête et d’un procès plus que suspects, ils furent graciés, ce qui ne les lava pas de l’ignominie de la condamnation.
Aujourd’hui, plus de 70 ans après les faits, la justice refuse toujours de se remettre en cause.
L’erreur est humaine entendons-nous souvent. Alors cette justice ne l’est sans doute pas.
À travers ce combat pour la réhabilitation de Raymond Mis et Gabriel Thiennot, c’est un combat pour une justice de l’humanité, au service de l’humanité que nous réclamons.
Notre conseil municipal a décidé de s’inscrire dans ce mouvement et nous souhaitons que cette modeste plaque interroge pour le passé et l’avenir. « La paix, la vraie paix, celle de l’âme, commence avec la reconnaissance de nos erreurs passées » écrivait Robert Badinter. Pour l’âme de notre démocratie, il serait bon que la justice reconnaisse ses erreurs.
Je tiens à remercier les membres du comité de soutien. À travers leur combat, notre combat aujourd’hui, c’est la réhabilitation de Mis et Thiennot, de leurs camarades, mais aussi l’amélioration de notre justice qui sont souhaitées.
Merci à tous.
Daniel Champigny, maire de Néons-sur-Creuse
Photos réalisées par Christian Pineau, membre administrateur du Comité de Soutien